AVRIL 2025 | NO 04

MARKET INSIGHT – Avril 2025

MARKET INSIGHT

L’analyse mensuelle de l’actualité économique et des marchés financiers mondiaux par Prime Partners.

La fin de certaines illusions

Les marchés financiers ont la capacité de remettre en question les certitudes des investisseurs de manière abrupte. Depuis 2023, hormis durant quelques brèves périodes de doute, nous avions quelque peu oublié que parfois la dynamique positive des marchés se grippe, questionnant alors concepts économiques en vogue et tendances boursières récentes. Mars aura plus que confirmé les premiers doutes de février concernant « l’exceptionnalisme américain » et l’ampleur des retombées en « monnaie sonnante et trébuchante » des immenses investissements dans l’intelligence artificielle des géants américains de la technologie.

Contrairement au mois dernier, la baisse des indices américains n’a pas été compensée par leurs homologues européens, dont le seul secteur de la défense ne suffit pas à faire oublier la guerre tarifaire lancée par le président Trump, impactant de nombreux pans de l’économie du vieux continent. Le concours de muscles commercial du gouvernement américain bat son plein, rendant à ce stade bien incertains les mois à venir et ce, à l’approche de la saison des résultats du premier trimestre.

Il y a un peu plus de 40 ans, le groupe anglais Imagination sortait son hit « Just an Illusion » dont le style néo-disco fleurait bon les années 80. Au-delà du refrain entêtant, les paroles décrivent un état de confusion où les émotions brouillent la frontière entre rêve et réalité. Il semble peu probable que Donald Trump écoute ce disque avant chacune de ses allocutions (elles sont pourtant nombreuses !) mais le fait est que ces dernières ont pour effet de déstabiliser les investisseurs et, disons-le bien, l’ensemble du monde dès lors qu’il s’agit de géopolitique.

Là où, le mois dernier, une partie des opérateurs regardait encore d’un air presque amusé les agissements et diverses provocations du gouvernement américain, il apparait désormais que sur bien des sujets l’administration Trump est à prendre au sérieux. L’omniprésente thématique des tarifs s’est matérialisée en mars et ne doit plus être vue comme une simple arme de négociation brandie par le président américain dans le but de signer des « deals » mais bien comme un processus concret venant perturber, voire redéfinir, le commerce mondial.

S’ajoute à cela un climat géopolitique toujours plus tendu dans lequel le bureau ovale multiplie là aussi les déclarations, parfois provocantes, y compris envers ses alliés. Le fragile cessez-le-feu partiel obtenu par l’administration américaine auprès du président Poutine contraste à ce stade avec les promesses de la campagne républicaine, où vingt-quatre heures devaient suffire à Donald Trump pour mettre fin au conflit en Ukraine. Il devient également nettement moins drôle de constater que des sujets comme le contrôle du Groenland ou la fin des programmes de diversité promus dans les entreprises américaines (et même étrangères, si elles souhaitent toujours travailler avec le gouvernement américain !) sont bien réels et non pas « Just an Illusion ».

C’est donc bien le scénario d’une stagflation aux Etats-Unis qui a pris de l’ampleur ces dernières semaines

Dans un tel environnement, les investisseurs sont logiquement sur la retenue mais, au-delà du cadre général actuel, ce sont les données économiques et les premiers discours d’entreprises ayant déjà publié (de manière décalée vis-à-vis des trimestres calendaires) qui retiennent notre attention.

Le niveau de forme actuel de l’économie américaine, dont certains contours se sont affinés en mars, est de plus en plus clair. La croissance est en train de ralentir et la consommation, si résiliente depuis plus de deux ans malgré l’inflation, semble désormais commencer à marquer le pas. L’incertitude tarifaire rend les américains plus prudents dans leurs achats et n’a évidemment pas pour effet de faire baisser les prix auxquels ils sont confrontés. C’est donc bien le scénario d’une stagflation aux Etats Unis qui a pris de l’ampleur ces dernières semaines. Il va sans dire que cette hypothèse, si elle venait à se confirmer au travers des données économiques, devrait fortement compliquer le travail de la Fed qui fera tout pour contenir un retour de l’inflation.

Côté européen, les marchés actions n’ont logiquement pas pu tenir le rythme auquel ils avaient progressé depuis le début de l’année. La croissance déjà faible que connait le vieux continent va être logiquement impactée par la guerre commerciale. La situation allemande, bien qu’a priori désormais moins incertaine politiquement, ne peut que souffrir de retombées négatives en provenance du secteur automobile. En France, rien ne garantit que le gouvernement actuel puisse durer dans le temps et les derniers chiffres du déficit publique ne laissent pas présager d’une quelconque amélioration sur ce front. Sans parler bien sûr des très nombreux produits français potentiellement bientôt taxés sur le sol américain.  Quelques rayons de soleil cependant viennent des pays du sud, Espagne en tête, dont la grande forme économique actuelle est le fruit des réformes passées et d’un dynamisme touristique qui pour l’instant ne faiblit pas. Autre motif de satisfaction, l’inflation européenne semble moins apte à reprendre de la hauteur que de l’autre côté de l’Atlantique. La BCE semble donc toujours avoir les mains libres pour poursuivre son processus de baisse de taux et potentiellement apporter sa pierre à l’édifice d’une certaine « prise de conscience » européenne.

Quelques mots enfin, comme chaque mois, sur la situation chinoise, dont les développements économiques récents continuent de nous paraitre insuffisants pour véritablement relancer la croissance du pays et éloigner le spectre de la déflation. À noter que des doutes similaires à ceux concernant les grands noms de la tech américaine au sujet des plans d’investissements massifs dans l’intelligence artificielle commencent à se faire entendre. Le chairman d’Alibaba Joe Tsai a ainsi récemment évoqué un potentiel excès d’offre dans le domaine de la construction de datacenters liés à l’IA, corroborant l’abandon par Microsoft de certains de leurs projets dans le domaine. Prudence donc après l’envolée des actions technologiques chinoises de ce début d’année.

Les dernières semaines ont ainsi été difficiles pour les actions, notamment celles de la technologie américaine. Nul n’aurait parié fin 2024 que les « Magnificent 7 » connaitraient un trimestre aussi chaotique que celui qui vient de prendre fin et personne non plus n’aurait cru que Donald Trump ferait (temporairement) fi d’un indice S&P 500 orienté à la baisse et dont l’intense rotation sectorielle de février semble peu à peu se transformer en correction.

Il n’est cependant pas l’heure de céder à la confusion évoquée dans la chanson d’Imagination. La réalité des indicateurs économiques et les précieuses indications à venir de la part des sociétés publiant prochainement leurs résultats restent notre seule boussole pour piloter l’allocation d’actifs de nos portefeuilles et ce, même quand le « bruit » généré par le président américain est assourdissant.

La réalité des indicateurs économiques et les précieuses indications à venir de la part des sociétés publiant prochainement leurs résultats restent notre seule boussole pour piloter l’allocation d’actifs de nos portefeuilles

Nous intégrons dans notre appréciation de l’environnement actuel que la croissance devient plus rare et que les valorisations du secteur technologique américain semblent déjà avoir anticipé un ralentissement au pays de l’Oncle Sam (bien aidées, il est vrai, par l’épisode « Deepseek »). De nombreux autres secteurs de la cote n’incorporent pas, à ce stade, de potentielles perspectives décevantes de la part des entreprises et nous incitent légitimement à une certaine prudence.

À noter que nos allocations ont mieux traversé ces dernières semaines que les quelques éléments décrits dans ce feuillet pourraient le laisser penser. Notre construction de portefeuille privilégiant la diversification sectorielle et un risque action raisonnable ont permis, comme dans les quelques périodes de volatilité vécues au cours des deux dernières années, de préserver notre sommeil et de ne pas voir s’évaporer l’entier des gains réalisés durant les deux premiers mois de l’année.

Mieux que cela, les parts obligataire et alternative des portefeuilles ont contribué positivement à la performance en mars. Sans oublier bien sûr l’apport de l’or, dont le poids non négligeable que nous recommandons continue de faire office de coussin venant amortir les chocs envoyés par les actions américaines.

Le mois dernier, nous indiquions à nos lecteurs que « la musique avait quelque peu ralenti » pour décrire l’environnement économique et financier. Ceci s’est confirmé en mars et les marchés financiers y ont prêté plus d’attention que précédemment. Il sera donc clé de distinguer au cours des prochaines semaines illusion et réalité en faisant preuve d’agilité dans nos décisions et ce, sans oublier que les excès boursiers sont aussi le berceau des opportunités.